Hôpital de l'Océan

L’Europe était devenue un métal brûlant, chauffé à blanc par la rivalité politique des puissances au faîte de leur domination, par l’âpreté de l’économie déjà mondialisée et par l’exaltation ravageuse de la nation, une réalité pourtant positive qui portait l’identité des peuples et fortifiait les individus dans la découverte de leurs droits de citoyens. Une étincelle suffit à l’embraser. Les réseaux d’alliances que les nations ont érigés pour se prémunir les précipitent dans la guerre. L’assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche à Sarajevo le 28 juin 1914 enclenche le cycle infernal. L’Autriche déclare la guerre à la Serbie, la patrie de l’auteur de l’attentat. Tout le reste s’ensuit, dans une spirale de mobilisations générales et d’ultimatums. À l’ouest, d’intenses batailles se succèdent d’août à octobre. Puis, la guerre de mouvement se fige dans un cruel face-à-face, sur un front de plus de 700 kilomètres, de la Mer du Nord à la frontière suisse.

Pour attaquer la France, l’Allemagne envahit la Belgique le 4 août 1914. Une à une, les villes sont prises. Après la chute d’Anvers, l’ultime front, pour les soldats du roi Albert, se situera sur l’Yser. L’Yser, petit fleuve côtier, prend sa source dans le Pas-de-Calais, décrit une boucle de 50 km en Belgique et rejoint la mer à Nieuport. Il devient ligne de front le 18 octobre. Pour la défendre, des hommes courageux ouvrent les écluses et la mer inonde les polders. Les blessés du siège d’Anvers, puis ceux du front de l’Yser sont accueillis à Dunkerque et à Calais. Mais l’évacuation est bien trop lente et les hôpitaux, trop éloignés. L’infection accomplit son œuvre de mort.

La Panne, dernière localité littorale avant la frontière française, appartient au dernier et minuscule territoire national. Une villa, face à la mer, devient la résidence du roi Albert et la reine Elisabeth. Le Gouvernement est en exil au Havre et le Parlement ne peut plus siéger. Le Roi gouverne, ainsi que le prévoit la Constitution. Les unités belges viennent à La Panne entre deux rotations en première ligne. Les 35 000 soldats belges tiennent le front entre la mer et Dixmude. Là, commence le secteur britannique qui comprend un saillant, enfoncé à la hauteur de Ypres dans le territoire occupé par les Allemands. Exposée sur trois côtés et objet de trois offensives, cette zone sera terriblement meurtrière. Le nom d’Ypres résonne dans la mémoire des peuples de l’ancien Empire britannique comme celui de Verdun pour les Français. Mais il ne faut pas oublier la douleur des Allemands.



Credits

Françoise Hiraux