Louvain médical 111:420-421, 1992
Hommage au maître
Jean Sonnet vient de déposer son pinceau. La palette au pouce, il nous introduit à son œuvre ultime. Comme à l'accoutumée, l'exposé se construit avec des termes bien choisis, des mots nobles, un phrasé coloré. Cette création nous est présentée sous forme d'un triptyque ; l'ensemble se veut intimiste... et on ne s'en étonne pas.
La première partie nous frappe par la majesté du sujet. Il nous dépeint la forêt de Marlagne: cette chênaie de l'Entre Sambre et Meuse le vit se promener durant sa jeunesse namuroise. L'atmosphère est printanière, le chemin sur lequel il nous convie de l'accompagner est bordé de tapis d'anémones. C'est là qu'il aimait se recueillir, se plonger dans la réflexion qui mûrit les décisions et oriente la destinée. Chemin faisant, on croise une "potale" petite chapelle de pierre bleue, polie par les pluies. La niche taillée dans cette stèle abrite la statue d'une vierge — bien sûr — notre artiste ne cache pas sa sensibilité. Au loin, la route nous apparaît barrée par quelques chablis — vestiges d'un hiver rigoureux et de vents impétueux. Comme les chênes, seuls les âmes robustes et les esprits sereins résistent aux véhémences du temps.
La scène centrale nous conduit vers des cieux plus lointains. A l'image d'autres peintres venus du Nord, il s'est laissé séduire par les couleurs provençales. Sur les pentes des Alpilles, le coloriste nous fait découvrir de riches vergers, des champs bleus de lavande, d'autres couverts de gerbes de blé, prêtes à être engrangées.
Tout paraît symbole.
Le témoin privilégié reconnaît dans cette opulente moisson la créativité de l'bomme, le tact du médecin et la richesse du maître.
Une famille nombreuse et unie, formée à l'école de la droiture et riche de dialogues.
Une lignée médicale ouverte à la recherche, sensible à la souffrance, soucieuse d'enseignement.
Est-il trop de rappeler le pionnier qui, en 1957, partait en terre africaine jeter les assises d'un service de Médecine Interne ?
À son retour en Belgique, neuf ans plus tard, il avait créé un service parfaitement structuré, richement doté. Là aussi, le maître a fait école. Plus de la moitié des assistants et collaborateurs formés dans son service africain professent, enseignent dans des centres universitaires, en Belgique tant au Nord qu'au Sud du pays, dans d'autres universités européennes, dans pas moins de trois continents.
La récolte est fructueuse.
Au-delà des vergers, le paysagiste nous fait découvrir les garrigues de la Drôme. Le caractère neutre de ces monts s'accentue sous un ciel gris de nuages. Tout est sévère, cette solitude est aride. On perçoit l'homme désemparé, nostalgique. La nostalgie est le seul des sentiments que l'on ne peut dissimuler. Au loin, entre deux cumulus, un raton lumineux, tel un faisceau, se faufile et se mire sur une nappe d'eau ; c'est une source, elle génère une rivière qui abreuve les troupeaux et fertilise les terres de la vallée. Tout redevient couleur, tout renaît à la vie; cette eau nous ravit par sa fraîcheur, nous saisit par sa limpidité.
Telle est l'œuvre du médecin, la richesse de l'humaniste, la force du croyant, qui dans l'aridité de l'incompréhension et sur le chemin de l'oubli recrée un courant de pensée, développe des voies créatrices de la médecine de demain.
Comblé par la sensibilité de la nature, notre peintre, au cours de ces dernières années, se voulut portraitiste.
Le dernier panneau nous impressionne.
À la Monet, la silhouette nous est suggérée plus que détaillée, le visage reflète la douceur, le sourire est chaleureux, le regard d'un vert pastel force notre confiance.
C'est 45 ans de bonheur qui se réfléchit dans la chevelure blanchie par les ans. C'est une ode à l'Amour qui se dégage de cette compagne, cette égérie, confidente et écoutée, présente et attentive.
Au terme de sa dernière leçon, le maître s'en va, il nous lègue son œuvre.
Rien ne s'éteint, nul ne meurt pour qui se fond dans la lumière de l'Éternité.
Jean Sonnet a peint la lumière, il nous ouvre au mystère de l'Éternité.
Jean-Louis MICHAUX
