...et ses recherches
Les rayons cosmiques
Le premier thème qui va confronter Georges Lemaître à l’utilisation des machines est celui du rayonnement cosmique. Lorsqu’il formule en 1931 son hypothèse sur le commencement de l’Univers, Lemaître envisage l’existence d’un rayonnement fossile issu de l’explosion d’un atome primitif. Ce rayonnement, constitué de particules chargées très énergétiques, serait encore perceptible aujourd’hui. Le Belge pense que ce rayonnement fossile prévu dans sa théorie correspond aux rayons cosmiques, des flux de particules chargées découverts en 1912 et dont l’origine était encore inconnue. Lemaître va alors concentrer ses futurs travaux sur l’étude de ces rayons cosmiques.
Il n’est pas le premier scientifique à s’intéresser à ce phénomène. Le norvégien Carl Störmer avait étudié les trajectoires des particules chargées en interaction avec le champ magnétique de la Terre dans le cadre de ses recherches sur les aurores boréales. Lemaître et son confrère Manuel Vallarta vont utiliser les travaux de Störmer pour calculer les trajectoires des rayons cosmiques, composés eux aussi de particules chargées, et déterminer plus précisément leur comportement en contact avec la magnétosphère terrestre.
Dans leurs travaux communs, Lemaître et Vallarta concluent que les particules chargées qui viennent vers la Terre subissent une influence de la magnétosphère. Celle-ci empêche les particules d’atteindre la Terre entre certaines latitudes (proches de l’Équateur). Par contre, plus on se rapproche des pôles magnétiques, plus il y a de particules qui atteignent la Terre. L’intensité des rayons cosmiques est donc plus importante aux pôles magnétiques. Les deux scientifiques confirment ainsi cet effet de latitude déjà observé par d’autres chercheurs. De plus, leurs recherches introduisent un nouvel effet dans le comportement des particules chargées. Ils remarquent que si les particules sont chargées positivement, leur intensité sera plus grande vers l’Ouest. À l’inverse, si elles sont négatives, l’intensité sera plus importante à l’Est. C’est ce qu’on appelle « l’effet Est-Ouest ».
Si Lemaître et Vallarta parviennent à améliorer le cadre mis au point par Carl Störmer pour calculer la trajectoire des particules c’est en grande partie dû aux moyens dont ils disposaient. Lorsqu’ils commencent à travailler sur ce sujet, au début des années 1930, ils sont tous les deux au M.I.T et y bénéficient d’une grande aide. Celle d’une machine qui permet d’intégrer et résoudre des systèmes d’équations différentielles ordinaires et qui est capable de représenter graphiquement les solutions. Il s’agit du Differential Analyser de Bush construit en 1931.
« Si Lemaître et Vallarta parviennent à approfondir les recherches sur les trajectoires des particules chargées, c’est en grande partie dû à leur utilisation du Differential Analyser »
Le comportement des galaxies
Après la Deuxième Guerre mondiale, les recherches de Lemaître connaissent une réorientation. Ses études sur les modèles d’Univers passent au second plan. Ses lectures durant l’Occupation avaient réveillé son intérêt pour la formation et la structure des galaxies. Dans les années 1930, il avait pensé que les galaxies se créent par une distribution uniforme des étoiles dans l’Univers. Après la Guerre, grâce à ses lectures sur la mécanique céleste, Lemaître change radicalement de point de vue et considère la formation des galaxies comme due à la production de nuées gazeuses de particules massives animées de grandes vitesses lors de la désintégration de l’atome primitif. Lorsque le rayon de l’Univers ne varie presque plus (comme Lemaître le prédit dans son modèle d’Univers hésitant), des nuées se concentrent les unes avec les autres. Ce phénomène marque l’amorce de la formation des galaxies.
Lemaître va plus loin dans son analyse des galaxies et s’intéresse à leur évolution et leur formation en amas. Il cherche à démontrer que les amas de galaxies se dissipent à partir de leur bord et interagissent avec d’autres amas voisins. Le scientifique belge essaye également de calculer le comportement des galaxies lorsque l’Univers reprend son expansion (troisième phase de l’Univers de Lemaître). Il veut voir si les amas de galaxies se disloquent ou restent soudés malgré le phénomène d’expansion.
Même s’il n’arrive pas à prédire le comportement des amas lors de la reprise de l’expansion de l’Univers et même si l’idée que les amas de galaxies interagissent entre eux pour éviter leur désintégration s’avère fausse, les recherches de Lemaître concernant la formation de galaxies via des variations de densité de matière engrangeant des condensations de nuées sont encore très prises en considération à l’heure actuelle.
Les calculs pour déterminer le comportement des galaxies et des amas de galaxies sont très complexes, et là aussi, Lemaître doit faire appel à des machines de plus en plus perfectionnées. Il utilise notamment la Burroughs E-101, implantée à Louvain depuis 1958.
Le problème des trois corps
Le Problème des trois corps est un autre domaine dans lequel Lemaître s’investit beaucoup après la guerre. Il consiste à tenter de déterminer les trajectoires des orbites de trois masses ponctuelles qui interagissent selon les lois de la gravitation. Ce problème est très complexe et très étudié par les astronomes et les physiciens. À l’inverse du problème de deux corps qui étudie l’interaction de deux masses ponctuelles (la Terre tournant autour du Soleil), le Problème des trois corps n’est pas intégrable dans la pratique ; il n’existe pas de formule mathématique analytique qui puisse être établie exprimant la forme des orbites dans ce problème. Ceci tient au fait que les interactions entre trois corps comportent des singularités. Le comportement des corps est très fortement lié à leurs caractéristiques (masse, taille, vitesse, etc.) et à leur position dans l’espace, ce qui rend impossible de déterminer leurs trajectoires sur le long terme. De plus, deux des trois corps peuvent entrer en collision.
Lemaître, comme beaucoup de scientifiques, se penche sur la question et ira jusqu’à trouver une technique de régularisation originale. Il applique des coordonnées symétriques au problème (en considérant les masses des trois corps comme égales), ce qui va supprimer les singularités du problème dans ce cas précis. Sa belle contribution dans ce domaine est rendue possible par tous les outils mis à sa disposition. Les machines permettent à Lemaître de proposer et de calculer une nouvelle régularisation à ce célèbre problème de la mécanique céleste.
« La belle contribution de Lemaître concernant le problème des trois corps est rendue possible par tous les outils mis à sa disposition »