...vu par ses étudiants
Un homme bienveillant et apprécié
Lemaître créait une relation spéciale avec ses étudiants, loin de l’image du professeur inaccessible. André Deprit, ancien étudiant de Lemaître devenu par la suite un de ses proches collaborateurs, explique que son principe « était de ne pas gêner les étudiants moyens et de repérer et faire progresser les bons éléments, avec lesquels il devenait beaucoup plus exigeant en licence. »
Les examens de Lemaître sont assez illustratifs de ce principe ; il proposait à l’étudiant d’autoévaluer son niveau, et en fonction de la réponse, il lui posait des questions plus ou moins compliquées. Ainsi, il était difficile de rater un de ses examens, mais également difficile d’avoir plus que quatorze sur vingt, comme le prouve si bien cet extrait de chanson étudiante :
« Le soleil luit sur le toit du bâtiment,
Dans la cour, dix étudiants
s’épongent en travaillant.
[...] Tout là-bas pourtant un espoir vient de renaître :
Un type sort de chez Lemaître
Réussissant sans rien connaître »
Les étudiants appréciaient Lemaître pour son humanité et son côté accessible. Dans leurs revues, le professeur est souvent moqué, mais il ne leur en tient jamais rigueur. Il est souvent caricaturé comme un bon vivant et son style pédagogique fait l’objet de nombreuses blagues. Néanmoins, les étudiants décrivent également Lemaître comme une personne sympathique et chaleureuse.
Voici un extrait du discours d’Odon Godart à la Carolo (Association régionale des étudiants de la région de Charleroi) en 1934 qui est assez élogieux :
« Notre savant relativiste n’est pas seulement un maître, mais un camarade tout aussi jeune de cœur que nous. Il a gardé tout frais l’esprit de l’étudiant wallon aimant blaguer et rire, prenant la vie du bon côté, s’amusant et travaillant toujours avec le même entrain, la même bonne humeur. Il est parmi les rares professeurs qui ont gardé un contact réel avec les étudiants, les comprenant et s’efforçant suivant leur désir de combler les lacunes qui existent dans notre vie universitaire et il déploie son activité avec une telle bonne grâce, une telle bonhomie qu’il a conquis la sympathie de tous. Et c’est pour cela que ce soir je le livre à vos applaudissements »
Lemaître y est décrit comme un bon vivant, sympathique et accessible pour les étudiants. Un autre témoignage d’un ancien étudiant en droit, Amaury de la Chevalerie atteste de ce trait de caractère. Un jour que cet étudiant lisait un ouvrage d’Eddington sur la relativité dans le train entre Louvain et Bruxelles, Lemaître monta dans le compartiment et vint s’assoir à ses côtés. Lemaître qui avait remarqué sa lecture lui demanda s’il était étudiant en sciences. Celui-ci lui répondit qu’il étudiait le droit, mais s’intéressait à l’astrophysique, mais qu’il avait quand même certaines lacunes scientifiques et qu’il lui était parfois compliqué de comprendre tout ce que le livre expliquait. Georges Lemaître, plein de bienveillance, se mit en tête de lui expliquer la théorie de la relativité. Ainsi, à chaque fois que les deux personnages se croisaient dans le train entre Louvain et Bruxelles, le professeur expliquait la relativité à cet étudiant en droit.
« Eh bien, me dit l'Abbé, je suis Georges Lemaître et comme nous prenons le même train, je vais vous expliquer la Relativité d'Einstein »
Pendant la guerre et l’Occupation allemande, Lemaître fait preuve une nouvelle fois de son altruisme. Resté en Belgique, il continue d’enseigner à l’Université catholique de Louvain. Conscient des circonstances difficiles, le professeur adapte ses horaires et se montre particulièrement indulgent avec les étudiants. Ayant installé les machines à calculer de l’Université dans son appartement de peur que les Allemands ne les réquisitionnent, il autorise les étudiants à venir chez lui les utiliser, même en son absence. Les étudiants de l’Université libre de Bruxelles (ULB) qui se sont inscrits à Louvain lorsque les Allemands ont fermé leur université font eux aussi connaissance avec la bienveillance de Lemaître qui demande au recteur de les dispenser des cours de religion à Louvain, par respect pour leurs convictions.
Des étudiants particuliers
Mais Lemaître ne se préoccupe pas uniquement des étudiants belges, il est également sensible aux problèmes des étudiants étrangers. Particulièrement proche des étudiants chinois inscrits à Louvain, il participe activement à leur accueil en collaboration avec le P. Vincent Lebbe, l’abbé Boland et de Dom Théodore Nève, l’Abbé de Saint-André à Bruges. Dans ses documents personnels, on retrouve des fiches avec des informations biographiques sur chacun. Ayant commencé à apprendre le chinois au séminaire entre 1920 et 1923, il préside en 1929 et 1930 la première maison pour étudiants chinois à Louvain. Membre du « Comité interuniversitaire Sino-Belge », il s’occupe aussi de la mise sur pied d’un comité académique pour les étudiants chinois de Louvain au début des années 1950. Tchang Yong li, ancien doctorant de Lemaître venu de Chine, devient son ami et l’accompagne dans ses travaux durant les années trente.
Il n’est pas rare que Lemaître tisse des liens particuliers avec certains de ses étudiants, par exemple Odon Godart ou bien André Deprit. L’un et l’autre deviendront ses assistants et aussi ses amis. Par la suite, Godart reprendra son cours d’Astronomie sphérique et mathématique après la Guerre, tandis qu’André Deprit lui succèdera au cours de Mécanique.
Lorsqu’il était son doctorant, Godart raconte que si le temps le permettait, Lemaître préférait l’emmener se balader au parc plutôt que de corriger et de discuter de son travail. Les deux amis finissaient toujours leur promenade par une dégustation à la pâtisserie Debelva (située sur l’ancienne place Foch).