Une curiosité sans frontière
L’imprégnation d’une famille cultivée
Georges Lemaître est né dans une famille bourgeoise, à Charleroi (Belgique) au cœur d’une région industrielle alors très prospère. Son père, qui avait fait des études de droit à l’Université de Louvain, était à la tête d’une verrerie.
Il reçoit une éducation chrétienne, entouré de sa mère et de ses grands-parents très attachés à la foi. Sa famille lui donne aussi le goût de la musique et de la littérature. Son père et son frère Jacques, notamment, sont passionnés par les auteurs classiques et par la musique.
Georges Lemaître lit beaucoup, dans plusieurs domaines et dans plusieurs langues. Il s’intéresse notamment aux « mots voyageurs », ces mots qui mutent d’une langue à l’autre.
Les quatre années sur le front de l’Yser sont une période de grands bouleversements pour Georges Lemaître, une époque qui est remplie de questionnements sur lui-même et sur sa vie. Il en ressort grandi. En outre, il lit beaucoup et dans toutes sortes de domaines, par exemple, les exégèses de Léon Bloy sur les Saintes Écritures, et Électricité et optique de Henri Poincaré. On peut supposer qu’il lit aussi des textes moins scientifiques, peut-être même du Molière. Durant ses permissions, il assouvit sa soif de connaissances à Paris ainsi qu’au Suisse-Cottage, à la Panne dans le dernier réduit de la Belgique non occupée, où la villa fait office de centre culturel destiné aux soldats.
Des études classiques
Au collège jésuite du Sacré-Cœur de Charleroi où il poursuit, entre 1904 et 1910, des humanités gréco-latines, il reçoit un sérieux bagage scientifique et une connaissance développée du grec et du latin et des auteurs anciens, mais aussi de la littérature classique et probablement, du théâtre français. Ses écrits scientifiques sont d’ailleurs rédigés dans un style remarquable et une belle langue française.
Ses études universitaires à Louvain, aux Écoles spéciales d’ingénieurs et à l’Institut de philosophie en 1913-1914, puis en faculté des Sciences en 1919-1920, lui apportent ensuite une culture couvrant un large spectre, de la philosophie thomiste à la physique et la mécanique, aux mathématiques, à l’analyse numérique et au calcul, en passant par de nombreux domaines de la cosmologie et de l’astronomie.
Le Séminaire enfin, à Malines entre 1920 et 1923, arme ses connaissances théologiques.
Un voyageur amoureux des découvertes
Il voyage beaucoup, pour ses recherches, mais aussi pour le plaisir : il se rend de nombreuses fois aux États-Unis, au Canada, mais aussi à Rome, au Caire ou encore au Congo. Cela l’ouvre certainement au monde, à la découverte, à la modernité.
Un esprit curieux fait pour la recherche
Georges Lemaitre s’intéresse à tout si sa curiosité est piquée. Pour cela, il ne faut pas grand-chose : une conversation sur sujet particulièrement intéressant, la lecture d’un texte, l’énoncé d’une conjecture ou d’une énigme, les recherches inabouties d’un chercheur. Une fois sa curiosité soulevée, il va tenter de prouver ou d’infirmer telle hypothèse, et chercher comment résoudre telle autre question.
Il est fait pour la recherche. Il a une puissance intellectuelle doublée d’une grande détermination, d’une certaine ténacité. Il sait se concentrer sur un sujet pendant de longues heures. Enfin, il ne craint pas d’avancer une théorie, qu’importe si elle ne respecte pas l’air du temps, si elle déplait ou si elle ne relève pas de son domaine de spécialité. Il pense par lui-même, sans restriction, et s’enrichit de ses échanges avec d’autres scientifiques.
Le milieu universitaire
Georges Lemaître est nommé chargé de cours à l’Université de Louvain en octobre 1925. Il enseigne les mathématiques et la cosmologie aux étudiants de la faculté des Sciences et aux futurs ingénieurs auxquels il dispense aussi des cours de méthodologie, d’histoire des mathématiques et d’introduction à la philosophie et à la religion. Ses exposés sont ardus et échappent souvent à la compréhension de son auditoire. Mais il montre beaucoup de bienveillance à l’examen et aime les contacts avec les étudiants.
Parallèlement à son enseignement, à ses recherches et la publication de plusieurs articles, il est invité, à partir des années 1930, à donner des conférences un peu partout dans le monde et surtout aux États-Unis. Son existence universitaire et scientifique est donc bien remplie. Mais elle demeure agréable, loin des pressions auxquelles les générations académiques actuelles sont soumises. Les chercheurs peuvent alors choisir d’enseigner ou non, de faire de la recherche un peu, beaucoup ou pas du tout. La qualité des articles prévaut, non leur quantité. Les chercheurs peuvent se pencher sur des thématiques qui ne font pas partie de leur domaine de spécialité. Enfin, lorsque Lemaître commence ses lectures sur Molière, dans les années 1950, il a près de soixante ans et s’ouvre plus à ses passions (calcul, littérature, informatique, etc.).
La ville de Louvain, siège de l’Université, est aussi un lieu de rencontres scientifiques où des chercheurs étrangers viennent étudier, où des étudiants chinois sont accueillis, où l’on rencontre des pères en soutane qui donnent cours. Lemaître rencontre le père Henri Bosmans, un jésuite historien des mathématiques et des sciences qui l’introduit à de grands textes anciens et l’exhorte à revenir toujours au texte original.
Lemaître habite à Louvain, dans un appartement de la Place Foch qui sera détruit aux premiers jours de la Seconde Guerre mondiale en mai 1940, à deux pas d’un établissement fréquenté par les professeurs : le Majestic. Lieu de rencontre par excellence, lieu de détente pour le scientifique, où l’on parle de tout sauf de sciences. Les collègues se réunissent et discutent des questions les plus variées et, notamment de littérature, de théâtre. C’est peut-être là que Georges Lemaître a entendu la théorie de Maurice Garçon à propos de Molière. Et l’on sait que lui-même parle de ses recherches sur Molière à plusieurs scientifiques, peut-être au Majestic également : Adolphe Gesché, alors doctorant en théologie, Paul Rousseau, un économiste versé en littérature, et bien sûr des romanistes : Charles de Trooz, Omer Jodogne, Joseph Hanse, Pierre Grouet ou encore Théophile Hénusse.