La Grande Guerre et un concordisme modéré

Son engagement patriotique

Croix de guerre

Engagé volontaire, il est cité pour son courage et reçoit la Croix de guerre en 1918 et les palmes en 1921. 

En août 1914, Georges Lemaître et son frère Jacques ont 18 et 20 ans. Ils projettent une balade à vélo et ne rentreront que quatre ans plus tard. En effet, la guerre est déclarée et ils décident de s’engager comme volontaires, un geste normal à leurs yeux, car la famille est patriote et royaliste. Ils rejoignent l’armée le 9 août. Ils participeront à la défense d’Anvers et à la bataille de l’Yser en octobre et seront versés le 3 juillet 1915 dans la 38e batterie d’artillerie. 

Sur le front, Georges lit Electricité et Optique (1890) de Henri Poincaré. Cette période est pour lui productive également d’un point de vue théologique. Face aux souffrances et aux atrocités dont il est témoin, il approfondit sa foi et réfléchit à l’Écriture sainte. Il sait déjà qu’il veut s’engager dans la vie religieuse, mais hésite encore entre le clergé séculier, régulier ou l’ordre jésuite. La guerre l’aide à préciser son engagement : il veut être prêtre. En 1916, dans la correspondance qu’il entretient avec Joris Van Severen, il explique qu’il a ressenti l’appel de se consacrer plus à la religion.  

« La science est belle, elle mérite d’être aimée pour elle-même puisqu’elle est un reflet de la pensée créatrice de Dieu ».

Léon Bloy et Trois premières paroles de Dieu : du concordisme?

Georges Lemaître va entretenir durant la guerre une relation d’amitié avec Joris Van Severen (il se distanciera de lui dans les années 1920, lorsque leurs divergences spirituelles et politiques deviennent trop importantes). Ils partagent de nombreuses conversations théologiques, philosophiques et intellectuelles. C’est Van Severen qui lui fait connaître l’écrivain français Léon Bloy. Georges Lemaître sera particulièrement influencé durant les années qui suivront par celui-ci. Bloy, en effet, a réalisé une exégèse de la Bible qui présente tous les éléments humains (dont les guerres) comme symboliques et susceptibles de révéler un sens caché de l’Histoire : la Grande Guerre serait ainsi un cataclysme précédant le retour du Christ sur terre. La lecture de Bloy donne un sens aux atrocités qui entourent Lemaître. Il admire également l’écrivain, car il prône la pauvreté et l’abnégation. On retrouvera cette exigence chez Lemaître lorsqu’il rejoindra les Amis de Jésus.

Poussé par son admiration pour l’exégèse de Bloy et le désir de lier sciences et foi, Georges Lemaître réfléchit au sens de la Genèse et particulièrement des premières paroles de Dieu. Il commence ce texte durant la guerre et le terminera à la Maison Saint-Rombaut, le 29 juin 1921. Son exégèse repose sur deux principes : seules les vraies paroles de Dieu de la Genèse sont analysées et tous les mots concrets cités peuvent en fait être interprétés dans un sens abstrait. Il veut tenter d’expliquer les paroles divines avec les données scientifiques ; en fait justifier les sciences par les Saintes Écritures. Tout en précisant que la Bible vise le salut des hommes et ne peut  être considérée comme un livre contenant des théories scientifiques. Son écriture a été inspirée par le Saint-Esprit, qui y a peut-être glissé des éléments de sciences. L’encyclique de Léon XIII « Providentissimus Deus » le fait toutefois douter : il déclare que l’Esprit saint n’a pas voulu tout apprendre aux hommes, car ce n’est pas utile au salut. Dans son étude, intitulée Les trois premières paroles de Dieu, Lemaître met ainsi en place une forme de concordisme modéré prenant en compte le fait que la Bible ne traite pas de science, car tel n’est pas son but. Cette pensée va évoluer au fil des années pour se transformer en une véritable distinction entre la religion et les sciences. 

Il rencontre Bloy, voulant lui soumettre son exégèse, mais son travail est très mal reçu et Bloy lui conseille de lire les Pères de l’Église. Lemaître est déçu ; c’est sûrement une des raisons qui l'ont amené à modifier sa pensée et à abandonner la vision concordiste. 

"Les trois premières paroles de Dieu"

Extrait des Trois premières paroles de Dieu, texte rédigé en partie au front et au séminaire
dans lequel Lemaître évoque "vérité idéale que poursuit la science".